Délit d’entrave à l’IVG: « Les propos sur les réseaux sociaux sont aussi concernés »

By | février 16, 2017

Le Parlement a définitivement adopté, ce jeudi, l’extension du délit d’entrave à l’IVG. Catherine Coutelle, la rapporteure de la proposition de loi, ne s’attendait pas à des débats d’une telle intensité. Interview.

Après trois mois de débats très vifs, l’Assemblée nationale a définitivement adopté, ce jeudi, la loi sur l’extension du délit d’entrave à l’IVG. Ce texte prévoit d’étendre au numérique le délit d’entrave à l’avortement, créé en 1993 lorsque les pro-vie s’enchaînaient aux grilles des hôpitaux pour empêcher les femmes d’exercer leur droit à l’IVG.

Désormais, les femmes qui auront été empêchées d’accéder à l’IVG par des informations trompeuses, véhiculées sous une apparente neutralité, pourront déposer plainte. Les sites reconnus coupables du délit d’entrave encourront 30 000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement. Entretien avec la rapporteuse de la proposition de loi, la députée PS de la Vienne et présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux Droits des femmes, Catherine Coutelle.

Comment accueillez-vous l’adoption de ce texte que vous avez porté pendant trois mois?

Catherine Coutelle: Je suis très heureuse que nous soyons parvenus à compléter le délit d’entrave à l’IVG, qui se produit essentiellement aujourd’hui sur internet. Et je suis ravie que la version qui a finalement été adoptée soit bien celle de l’Assemblée nationale et non celle du Sénat, plus édulcorée. Désormais, les victimes d’un délit d’entrave à l’IVG pourront saisir la justice, comme celles qui avaient été empêchées, physiquement, d’entrer dans une clinique. Ma seule crainte, c’est que ces sites qui pratiquent le délit d’entrave à l’IVG sont extrêmement alimentés financièrement. Manifestement, il y a de l’argent. Donc je ne pense pas qu’une amende de 30 000 euros les fera forcément reculer. Mais cela peut les stigmatiser. Et je pense qu’ils sont quand même inquiets, vu la guerre qu’ils me font.

Certains estiment que ce texte risque de rencontrer un problème d’application. Ne sera-t-il pas complexe pour le juge d’établir la différence entre ce qui relève du délit d’entrave et ce qui ce qui relève d’une opinion?

Absolument pas. Si un site profère, officiellement, une opinion contraire à l’IVG en disant clairement qu’il est contre, alors il ne sera pas poursuivi. Ces sites-là n’interdisent à personne d’aller pratiquer une IVG, ils exposent des arguments. Mais les sites ciblés par notre texte avancent masqués. Ils se présentent comme des sites officiels, alors qu’en réalité ce sont des sites pro-vie, anti-IVG. Une entrave, c’est une entrave! Si une personne qui voulait avorter n’a pas pu le faire parce qu’elle a été mal conseillée, mal aiguillée, que l’on a exercé des pressions sur elle, qu’elle a été harcelée -comme j’ai pu le constater-, alors elle et sa famille seront en droit de porter plainte contre ces sites qui l’ont mal informée.

LIRE AUSSI >> La désinformation d’IVG.net, entre risques farfelus et discours culpabilisant

Encore une fois, nous n’entravons pas la liberté d’expression, dans la mesure où l’on ne fait pas fermer les sites. Nous permettons de poursuivre des sites qui avancent masqués. Qu’ils annoncent la couleur! Qu’ils disent clairement qu’ils sont des sites pro-vie, anti-IVG, qui exposent des arguments selon lesquels il ne faut pas se faire avorter.

Ce texte va-t-il s’appliquer aux réseaux sociaux?

Toute désinformation sera concernée, y compris sur les réseaux sociaux. Je sais par exemple que le site que j’avais auditionné, ivg.net, a un compte Facebook sur lequel il développe les mêmes argumentaires et où il peut y avoir des échanges d’informations.

Vous attendiez-vous à des débats aussi houleux, plus 40 ans après l’adoption de la loi Veil?

Je suis très surprise qu’aujourd’hui, en France, on entende des choses à peu près équivalentes à ce que l’on pouvait entendre à l’époque de Simone Veil. Nous pouvions penser que les esprits avaient un peu évolué, mais nous avons aujourd’hui affaire à des mouvements réactionnaires très puissants et qui se réorganisent. Que l’on en soit encore là 40 ans après m’a beaucoup surprise. Mais cela m’a surprise dès 2014, lors des débats autour de la suppression de la notion de détresse, puis du délais de réflexion dans la loi sur l’avortement. A chaque fois, le combat est le même.

Je pense qu’aujourd’hui en Europe -et dans le monde-, nous devons faire face à des mouvements très réactionnaires, très organisés, qui poussent pour revenir sur les droits sexuels et reproductifs des femmes. Et moi, cela m’inquiète beaucoup. Nous n’avons pas pu célébrer Pékin 1995 [La quatrième Conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies]! En 2015, nous aurions dû fêter les 20 ans de Pékin, mais nous n’avons pas pu le faire, à cause des pressions de puissants pays conservateurs, comme l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis de Bush et maintenant de Trump, ou encore le Vatican. C’est une réalité, dramatique, dont il faut prendre conscience.