Délit d’entrave à l’IVG : une menace pour la liberté d’expression?

By | février 15, 2017

Un débat passionné s’est ouvert le 1er décembre 2016 à l’Assemblée nationale et après plus de deux mois d’échanges frénétiques, le délit d’entrave à l’IVG a été étendu à internet dans un climat enfin apaisé. En effet, le 16 février 2017, l’Assemblée nationale a adopté définitivement la proposition de loi visant à lutter contre les pratiques de désinformation, notamment sur internet, induisant intentionnellement en erreur ou exerçant une pression psychologique sur les femmes et leurs entourage en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Si cette proposition de loi est une avancée incontestable et indispensable pour le droit à la libre disposition du corps humain, elle a aussi posé un certain nombre d’interrogations concernant la liberté d’opinion et d’expression. Deux libertés fondamentales, qu’il convient de promouvoir et qui ont fait l’objet d’une controverse romanesque au sein du Parlement.

D’un côté, les défenseurs du droit des femmes, attentifs à la désinformation sévissant sur internet au moyen de sites internet faussement neutres et présentés comme des sites internet officiels : IVG.net, avortement.net, ecouteivg.net en sont l’exemple. Des sites internet appartenant aux lobbies pro-vie et distillant des informations mensongères sur l’IVG avec des témoignages sordides ou des études sournoises à l’appui.

De l’autre, les promoteurs de la liberté d’opinion et d’expression, attachés à ce que tout type de propos puisse être tenus dans l’espace public, tant qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public. En l’espèce, la désinformation et les mensonges concernant l’avortement feraient parti des dommages collatéraux à la défense de la liberté d’expression.

Dans cette optique, un choix a été posé au législateur : faire prévaloir une liberté fondamentale plutôt qu’une autre. Opter entre libre disposition du corps humain ou liberté d’expression. Cependant, en matière de libertés publiques, il convient de prendre du recul et de sortir du prisme trop subjectif de l’opposition entre deux libertés.

Revenons donc à l’essence de la formule : la liberté – c’est-à-dire l’aptitude des individus à exercer leur volonté – ne peut être qu’une liberté relative dans un État de droit. En effet, elle doit être compatible avec l’égalité et la justice. Ainsi, l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme, prévoit que la « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Cette liberté relative est d’ailleurs consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme qui encadre l’exercice de liberté d’expression dans son article 10.2.

Article 10.2 de la CEDH : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, […] à la protection de la santé ou de la morale, […]».

Or, si l’on revient au cas d’espèce, il semblerait que faire entrave à l’interruption volontaire de grossesse, par des informations mensongères, de nature à induire une personne en erreur, constitue une atteinte à la liberté de choix et de conscience. Une entrave à une liberté publique qui mériterait de pouvoir être poursuivie et soumise à l’appréciation d’un juge.

Tel est l’objet de cette proposition de loi : permettre au juge judiciaire d’apprécier si un propos, quel que soit son contenu, porte atteinte à la libre disposition du corps humain. A ce titre, l’Assemblée nationale vient de doter le juge d’un levier salutaire pour faire respecter le droit des femmes à disposer librement de leur corps.