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La gauche à l’épreuve de la défiance

Dans nos démocraties modernes, la confiance dans l’État est cette perception essentielle des citoyens que la fonction étatique fournit les moyens d’agir de manière souveraine pour le bien commun, indépendamment de tout intérêt particulier : celui des élus eux-mêmes, des lobbies, des marchés, etc. Ainsi, pour les citoyens, avoir confiance dans l’État, c’est quelque part s’attendre à des résultats de politiques ou à des services (publics) qui répondent à terme à leurs préférences sans qu’il soit nécessaire de surveiller constamment l’action des élus. On parle ici d’une confiance en dehors de la logique électorale, c’est-à-dire d’une confiance où chacun renonce à ce que le pouvoir soit constamment paralysé par l’opinion. La confiance dans l’État apparaît ainsi vitale au régime démocratique dans la mesure où elle permet aux élus de gouverner entre deux élections. Elle offre les marges de manœuvre nécessaires à la prise de décisions impopulaires ou coûteuses. Or, s’il est vrai que la confiance aveugle d’un peuple envers le pouvoir peut devenir inquiétante pour un régime démocratique, la défiance peut de son côté paralyser dangereusement l’action publique et créer toujours plus d’inefficacité. Puis, en retour, du cynisme. De nombreuses études montrent que les difficultés économiques et les scandales qui ont touché nos gouvernants depuis l’élection de François Hollande ont altéré la confiance des électeurs dans les responsables politiques ainsi que dans les institutions de la démocratie. Pour autant, loin de créer de l’apathie chez tous les citoyens, les élections intermédiaires de 2014 et 2015 semblent avoir soudainement mobilisé beaucoup plus d’électeurs pour le Front national. Ce dernier a atteint des sommets aux européennes de 2014 (25 % des exprimés), puis aux départementales (25 %) et aux régionales de 2015 (28 %). Or comment des élections de mi-mandat ont-elles pu susciter une telle mobilisation des électeurs de l’extrême droite, alors même qu’ils sont souvent ouvriers ou employés ? Lors des régionales de décembre 2015, le parti de Marine Le Pen est notamment parvenu à créer la surprise, en progressant de 400 000 voix sur les 6 millions et demi déjà engrangées lors de la dernière présidentielle (une élection où 80 % des électeurs étaient allés voter). Jusqu’à présent, les travaux de sociologie électorale portant sur les scrutins intermédiaires (de type régionales ou européennes) ont mis en évidence le rôle crucial que continuent à jouer les enjeux nationaux dans l’explication du vote aux élections locales ou européennes. Cependant, quelle analyse peut-on faire de ces résultats au-delà des truismes sur le « ras-le-bol » des électeurs et le « vote sanction » au niveau national ?