Le parcours compliqué des révisions constitutionnelles

By | décembre 26, 2015

Peut-être à l’occasion des repas de famille de Noël avez vous eu l’occasion d’évoquer la réforme constitutionnelle dont le projet de loi a été adopté mercredi en conseil des ministres.

Une réforme constitutionnelle se présente comme tous les autres projets de loi et est accompagné de l’avis du Conseil d’Etat. Avec un nom un peu pompeux de « Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation » (il faudra faire un jour une note sur ces titres de lois qui sont avant tout des slogans publicitaires), celui-ci est composé de deux articles : l’un sur l’état d’urgence, l’autre sur la déchéance de nationalité.

L’article premier crée un nouvel article 36-1 qui inscrit dans la Constitution ce que la loi permet déjà : la possibilité de décréter l’état d’urgence (alors que le Conseil constitutionnel vient de dire que ce n’était pas indispensable). Le second article modifie l’article 34 de la Constitution qui porte sur le domaine de la loi, pour préciser que les lois fixent les règles sur la nationalité « y compris celles sur la déchéance ». Une révision constitutionnelle de précision…

L’étude des projets de loi constitutionnelle a ceci d’extraordinaire qu’elle ne connait pas les exceptions habituelles : il n’y a pas de procédure d’urgence (on ne peut étudier le texte à l’Assemblée que six semaines après son dépôt et il y a quatre semaines avant la première navette Assemblée-Sénat), pas de CMP, pas d’irrecevabilité financière, pas de de cavalier, pas d’entonnoir… Le gouvernement peut toutefois utiliser le vote bloqué (art 44), mais il ne l’a encore jamais fait.

L’étude se fait par la commission des Lois (qui s’appelle en fait « commission des lois constitutionnelles »). Toutefois comme pour les projets de loi de finances, l’étude en séance se fait sur le projet de loi initial du gouvernement (et pas sur le texte de la commission). Depuis la réforme du règlement l’an dernier, tous les députés peuvent déposer des amendements en commission (et pas les seuls commissaires aux Lois). Les parlementaires doivent veiller à être synthétiques : si la Constitution est trop bavarde ou trop précise, elle risque de limiter ensuite leur champ d’action.

Comme il n’y a pas de CMP, les députés et sénateurs doivent se mettre d’accord sur un texte identique, faute de quoi la navette peut se prolonger sans fin (une pensée pour la proposition de loi constitutionnelle sur le droit de vote des étrangers adoptée à l’Assemblée en 2000, modifiée par le Sénat en 2011 et qui devrait être réétudié par l’Assemblée vers 2025). Le Sénat a donc autant de poids que l’Assemblée dans ce processus. Il lui arrive donc de dicter quelques conditions pour accepter d’adopter un texte conforme. Plus qu’un compromise gauche-droite, c’est un compromis Assemblée-Sénat qui est indispensable dans une réforme constitutionnelle. Il risque d’être compliqué pour le gouvernement Valls de convaincre le Sénat de ne pas alourdir la barque en rajoutant telle ou telle disposition qui serait inacceptable pour une partie des députés de gauche. A un an de la Présidentielle, il pourrait être tentant de jouer à ce jeu.

Une fois que l’Assemblée et le Sénat se sont mis d’accord sur un texte identique, il faut encore une adoption finale. Pour les projets de loi constitutionnelle, déposés par le gouvernement, il faut que le texte soit approuvé par les 3/5ème des parlementaires réunis en congrès à Versailles, ou par une majorité de citoyens par référendum. Pour les propositions de loi constitutionnelle, qui sont déposées par des parlementaires, la réunion du congrès est impossible et il faut obligatoirement passer par le référendum (ce qui explique qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’ait jamais abouti). L’avantage du congrès c’est sa rapidité et sa prévisibilité, quand un référendum mobilise l’ensemble du pays pendant des semaines (et a parfois des résultats incertains).

C’est le Président de la République qui décide de choisir l’adoption par référendum ou par congrès. Il peut aussi enterrer la réforme comme c’est arrivé en 1973 ou en 2000 (le Sénat tient à jour un cimetière des révisions constitutionnelles inabouties).

Une fois adoptée, pour mettre en place la révision constitutionnelle, il est parfois nécessaire d’adopter des lois d’application, simples ou organiques (dont la procédure d’adoption est renforcée). Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation en prévoit déjà deux : une loi pour lister les mesures autorisées par l’état d’urgence, une autre pour définir les crimes et conditions qui entraîneront une déchéance de nationalité. Il faudra donc rajouter encore quelques mois, le temps d’écrire ces projets de loi, les soumettre au Conseil d’État et les faire adopter par le Parlement. Il a ainsi fallu attendre 2014 pour que soit adoptée la loi organique qui met en application la révision constitutionnelle sur le statut juridique du Président de la République… de 2007.

 Bref, si vous n’avez pas réussi à convaincre votre oncle et votre belle-sœur à Noël, vous pourrez toujours reparler de cette réforme au moment du repas de Pâques. Noël au balcon, Pâques au tison !