Le Point.fr : Pourquoi avoir proposé cette motion de censure aux députés ?
Nicolas Dupont-Aignan : Parce que j’en ai assez de l’irresponsabilité permanente du gouvernement ! J’estime que, dans une société démocratique, il faut rétablir le principe de responsabilité. Après ces trois attentats, après le meurtre horrible des policiers et compte tenu de l’incapacité du pouvoir à se donner les moyens de répondre à cet état de guerre, j’estime que le gouvernement aurait dû, depuis longtemps, remettre sa démission au président de la République. À l’Assemblée nationale, dans la nuit de mardi à mercredi, j’ai vu le gouvernement refuser systématiquement toutes les mesures de bon sens, qui sont pourtant indispensables et urgentes. C’est une véritable « non-assistance à peuple en danger ».
C’est une expression extrêmement violente, vous ne trouvez pas ?
Non, ce n’est pas trop fort, car le gouvernement n’a fait que dix pour cent du chemin. On fait croire aux Français que le gouvernement agit… Oui, il a fait des choses, mais avec du retard. J’avais demandé l’état d’urgence au lendemain de Charlie, il a été mis en place en novembre. Avec le gouvernement, c’est toujours trop tard et trop peu. C’est une guerre totale, c’est une guerre asymétrique, d’un genre nouveau. L’enjeu n’est pas de faire quelque chose. Heureusement qu’il fait des choses, mais ce qu’on lui demande, c’est une obligation de résultat. Il n’y a pas de risque zéro, évidemment. Mais il y a beaucoup de mesures à prendre qui permettraient de resserrer les mailles du filet.
Quelles mesures justement préconisez-vous ?
Le point-clé, que demande Ciotti, que demande Wauquiez, que l’on demande tous finalement, c’est du bon sens. L’arrestation immédiate de ceux qui reviennent de Syrie, en premier lieu. Il faut les arrêter immédiatement, tous, pour évaluer leur dangerosité, les mettre dans des centres de rétention, sous contrôle judiciaire. Deuxième mesure, plus compliquée juridiquement : la rétention des fichés S de manière préventive pour ceux qui sont les plus dangereux, et le bracelet électronique pour les autres. Troisième mesure, il faut rétablir la double peine : tout étranger qui commet un délit en France doit être expulsé. Et, enfin, je propose une autre mesure : mettre en place une cour de sûreté de l’État qui gérerait les affaires de terrorisme pour désembouteiller la justice. Et je recommande le recrutement d’un personnel administratif pour que les gendarmes et policiers puissent être mis sur le terrain. On pourrait augmenter les forces de gendarmerie et de police de 10 000 personnes.
La rétention préventive des fichés S peut paraître contraire à l’État de droit…
Cela dépend de qui on parle : ceux qui sont partis en Syrie sont coupables de trahison envers la nation et d’intelligence avec l’ennemi. Ils sont donc coupables ! Par conséquent, s’ils reviennent en France, ils vont en prison.
Beaucoup de fichés S ne sont pas allés en Syrie, beaucoup n’ont, à l’égard du droit, rien fait de répréhensible…
C’est une obligation de sécurité nationale, et cela peut tout à fait se faire sous contrôle judiciaire. C’est ce qu’ont fait les Américains d’ailleurs. En France, on fait bien des hospitalisations d’office : il y en a 70 000 par an. On n’a pas attendu qu’ils tuent quelqu’un pour les interner. Quand on a des éléments de radicalisation chez une personne, on a une obligation d’agir. C’est très simple : à la guerre, on tue l’adversaire avant qu’il ne vous tue. Alors, je ne demande pas de tuer le fiché S, mais de l’interner, de l’assigner à résidence ou de lui mettre un bracelet électronique. On n’a pas le droit de jouer avec la peau des Français. Le droit est au service de la nation. Le droit doit s’adapter.
D’autres ont, comme vous, déclaré qu’il fallait affaiblir, ou tout du moins adapter, l’État de droit. N’est-ce pas étrange que des députés mettent en cause ce qui est à la base d’un système démocratique, à la base de notre République ?
Excusez-moi, mais la République, d’abord, c’est la France. On doit défendre les Français. L’État de droit n’est pas un totem ! Il n’est qu’un instrument. L’État de droit n’a de sens que si les Français sont en sécurité. Qu’est-ce que l’on veut ? que les Français se fassent justice eux-mêmes ? Parce que si on continue comme ça, demain, les Français vont s’armer, ils ont déjà commencé d’ailleurs. Quand on est assassiné, quand on nous tire dans le dos, il faut se défendre. Quand la République avait le bagne de Cayenne, elle se défendait. Le droit n’est qu’un instrument au service de l’État, de la France et de la démocratie.
Vous parlez du bagne de Cayenne, certains à droite demandent un Guantánamo à la française. Vous aussi ?
Ah, mais je l’ai demandé aussi ! Un Guantánamo, un bagne de Cayenne ou les Kerguelen, mais sous un contrôle judiciaire. Je pense que l’on n’a rien vu de ce qui va arriver. Et si on ne prend pas ces mesures de précaution, ça se finira très mal.
Vous avez déclaré que le gouvernement voulait « empêcher le débat démocratique ». Pourquoi dites-vous cela ?
Parce que, dès que l’on a osé proposer d’autres solutions, on a été accusé de rompre l’unité nationale. On nous a immédiatement fait un procès en sorcellerie. Il faut arrêter ce cinéma. L’argument de l’unité nationale aujourd’hui est un édredon que l’on jette sur les Français. On les endort. Car la vraie unité nationale, ce n’est pas de se taire. D’ailleurs, c’est aussi pour cela que j’ai proposé ma mention de censure : je trouve que Les Républicains sont très timorés, car ils ont mauvaise conscience. Et le gouvernement, à juste raison, peut leur répondre qu’ils n’ont rien fait de plus.
Ne pensez-vous pas, malgré tout, que l’événement méritait un temps de silence, de recueillement, au moins le jour qui a suivi le drame ?
Attendez, le temps des pleurs, on l’a eu. Mais le devoir d’un homme politique, c’est de dire « ça suffit ». J’ai réagi très vite, car j’avais déposé au président de la République, à deux reprises, au lendemain de Charlie et au lendemain du Bataclan, exactement les mêmes mesures. J’ai même fait un discours au Congrès de Versailles, sifflé par les socialistes, où je prédisais exactement ce qui est arrivé. Donc, j’en ai assez de prêcher dans le désert après chaque attentat. On pouvait excuser une inadaptation de notre réponse après Charlie. On pouvait, à la rigueur, se dire, après le Bataclan, que l’on avait été surpris par l’ampleur du phénomène. Mais, depuis, on est prévenu. Personne ne peut dire : Je ne savais pas.