Il se targue d’être « le candidat du travail », mais dévoile les orientations de son programme au compte-gouttes. Selon l’ex-ministre, le modèle du salariat et la protection sociale qui en découle sont derrière nous. Que veut-il exactement? On fait le point.
Le « candidat du travail »: c’est ainsi qu’Emmanuel Macron s’est présenté lors de son premier meeting, le 10 décembre à Paris. L’occasion pour le fondateur du mouvement En Marche! d’esquisser devant plusieurs milliers de personnes (15 000 selon les organisateurs) son programme économique et social dont beaucoup de points restent cependant à préciser.
L’ancien ministre de l’Économie avait déjà commencé à présenter quelques-uns de ses axes de travail dans son ouvrage Révolution, paru le 24 novembre. Le candidat ne cache pas son désir de bâtir une forme de « troisième voie ». Comment? Les ressorts sont assez classiques: une plus grande flexibilité du marché du travail, une baisse des cotisations des entreprises, mais aussi une réforme de fond de l’assurance chômage. Revue de détails.
Revoir le modèle social à l’ère post-salariale
Le message est fort. Emmanuel Macron estime dans son livre que la France doit « changer de logique profonde et refonder (ses) manières de penser, d’agir et de progresser. »Aux yeux du candidat: « les protections corporatistes doivent laisser la place aux sécurités individuelles ».
Le consensus de 1945 forgé par le CNR (Conseil national de la résistance) a donné naissance à une protection sociale « autour d’un principe: la société doit protéger face à la maladie, la vieillesse et les accidents du travail seulement celui qui a un emploi.Cette protection diffère selon le statut et le secteur, et parfois selon le métier », rappelle-t-il.« Cependant, ils ne soupçonnaient pas l’émergence d’une société du changement rapide et brutal, de la désindustrialisation, et donc de la précarité. Ils n’imaginaient pas que le chômage concernerait un jour 10% des actifs. Ils ne pouvaient concevoirla fragmentation du monde du travail, la montée en puissance de l’intérim et d’un système, en un mot, post-salarial.La réalité c’est que notre protection sociale ne protège plus une part croissante de nos concitoyens. »
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Pour Emmanuel Macron, le modèle doit donc évoluer.A ses yeux les « nouvelles protections sociales ne doivent plus dépendre de la situation des Français. Elles doivent s’organiser de manière plus transparente, généralisée, avec des droits pour chacun mais aussi des devoirs. »
L’assurance chômage revue de fond en comble
Première conséquence: sous une présidence Macron, l’assurance chômage changerait de nature. « Il ne s’agirait plus à strictement parler d’une assurance, mais bien de la possibilité de se voir financer par la collectivité des périodes de transition et de formation: un droit universel à la mobilité professionnelle. C’est alors bien d’un système de solidarité dont nous avons besoin, auquel chacun doit contribuer et dont chacun doit pouvoir bénéficier, » avance l’ancien ministre. Cette assurance chômage serait aussi ouverte aux indépendants, commerçants et artisans. Autre nouveauté du candidat Macron : les droits à l’assurance chômage seraient ouverts aux salariés démissionnaires.
Pour financer ce changement de paradigme – puisqu’il s’agit de transformer la philosophie même de l’assurance chômage – Emmanuel Macron prévoit d’en faire reposer le financement « sur l’impôt et non plus sur les cotisations sociales ». Il supprime au passage les cotisations chômage (et maladie) côté salarié, ce qui selon lui devrait leur redonner du pouvoir d’achat.
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Ainsi, les prestations ne relèveront plus « d’une logique d’assurance mais de solidarité et le plafond des indemnités, aujourd’hui de près de 7 000 euros (…) sera revu à la baisse. » Sans plus de précisions.
Le mode de gouvernance sera lui aussi revu. « L’État devra assumer des décisions stratégiques qu’il a jusque là déléguées aux partenaires sociaux ». Exit donc le paritarisme. Pour Emmanuel Macron, c’est une façon de reprendre la main face aux blocages expérimentés récemment dans les négociations autour de l’Unédic. Une fois celle-ci nationalisée, les pouvoirs publics ne seront plus « les commentateurs de compromis… qui ne viennent pas. »
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Le candidat anticipe déjà que ce sera « un rude combat (…) qui fâchera ceux qui en vivent. Mais cela libérera toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui bloqués. Ce sera l’un des plus importants chantiers que nous aurons à mener », promet-il. Au vu de la levée de boucliers suscitée par la loi Travail, on peut facilement l’imaginer.
Autre point important sur la question du chômage, Emmanuel macron n’est pas favorable à la dégressivité des allocations, à l’inverse de ce que propose, par exemple, François Fillon, candidat des Républicains.
La formation, un passage obligé pour le chômeur?
Emmanuel Macron estime que la formation continue – a priori centrale dans son modèle – est à revoir, car selon lui, elle n’est pas adaptée aux structures actuelles. Le candidat juge le système, qui coûte « plus de trente milliards », « trop complexe ». « Il faut s’adresser tantôt aux partenaires sociaux, tantôt aux régions, tantôt à Pôle emploi pour obtenir le financement de sa formation. Cela peut prendre jusqu’à un an et nombreux sont ceux qui abandonnent en cours de route. En outre, la qualité n’est souvent pas au rendez-vous. Ce système est surtout réservé à ceux qui ont un emploi stable et sont bien formés », dénonce Emmanuel Macron. L’antienne est bien connue.
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Il préconise que les actifs puissent bénéficier « de ressources pour se former et pouvoir s’adresser directement aux prestataires de formation, sans intermédiaire »… « Cette révolution ne veut pas dire, pour autant, étatisation. L’État doit financer – il le fait déjà, sans rien vraiment décider, par la garantie – et être le garant du bon fonctionnement. Mais il doit déléguer largement, comme il a commencé à le faire, les bilans de compétences à des prestataires privés. Il doit déléguer les formations aux régions, aux branches, aux universités, aux écoles aux centres d’apprentissage ».
Emmanuel Macron rêve d’un système « de droits », mais aussi de « devoirs ». Et là, le candidat durcit clairement le ton. « Au bout d’un certain temps de chômage, qui ne se forme pas n’est pas indemnisé, prévient l’ancien ministre. Et, à l’issue de la formation, qui n’accepte pas une offre d’emploi raisonnable n’est plus indemnisé« , poursuit-il, y voyant un « levier puissant d’économies ».
Baisses de charges et stabilité pour les entreprises
Aux entrepreneurs, Emmanuel Macron promet de la stabilité. « Il faut que les entreprises puissent reconstituer leurs marges, promet-il. Elles ont besoin de stabilité et de visibilité. Elles doivent pouvoir se projeter dans le temps, prévoir leurs investissements et tracer leur stratégie, partir à la conquête de nouveaux marchés. Elles passent trop de temps à essayer de comprendre les changements de loi incessants. On a trop changé le code du travail ou les modalités de l’impôt au sein d’un même quinquennat », estime l’ancien ministre de l’Économie.
Il s’engage ainsi à ce que « plus de nouvelle règle (ne soit votée) avant d’avoir passé en revue celles qui existent et n’ont pas d’utilité. » Par ailleurs, Emmanuel Macron promet aussi qu’un même impôt ne (sera) pas modifié « plusieurs fois au sein d’un quinquennat. »
Se félicitant de la réussite du CICE et du Pacte de responsabilité, qui ont « redonné des marges de manoeuvre aux entreprises et stoppé l’hémorragie de l’emploi », Emmanuel Macron souhaite ainsi « réduire les prélèvements sur les entreprises qui nuisent à leur compétitivité et soutenir l’investissement productif ». Il transformera donc le CICE en allègement de charges et promet aussi de décider également d’autres « allègements ou suppressions de cotisations sociales patronales », sans préciser encore lesquelles.
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Emmanuel Macron juge également que le problème des entreprises tient dans leur difficulté à avoir un accès « rapide et massif aux fonds propres« . « Il faut un financement qui permette aux entreprises de lever des capitaux rapidement et massivement », annonce-t-il, citant l’écart qui existe entre une entreprise comme Uber qui a pu lever « des dizaines milliards de dollars, tandis que les entreprises françaises n’ont levé que quelques dizaines de millions d’euros. » En revanche, le candidat Macron ne dit pas comment il compte stimuler ces levées de fonds.
Emmanuel Macron plaide également pour une « fiscalité qui récompense la prise de risques, l’enrichissement par le talent, le travail et l’innovation plutôt que la rente et l’investissement immobilier », écrit-il. « Notre fiscalité, et j’inclus ici l’actuel impôt sur la fortune, ne doit plus pénaliser ceux qui réussissent de leur vivant et investissent dans les entreprises et dans l’innovation. »
Enfin, il plaide à nouveau pour la mise en place d’un plancher et d’un plafond pour les indemnités accordées aux prud’hommes. Une mesure déjà proposée par l’ancien locataire de Bercy dans sa loi mais retoquée.
Un droit du travail « plus près du terrain »
Un code du travail pour toutes les entreprises? Emmanuel Macron est contre. « Il faut que nous acceptions de sortir de cette idée que la loi doit tout prévoir, pour tous et dans toutes les situations », estime le candidat. Ce modèle est lui aussi dépassé pour le candidat qui se dit favorable à « changer profondément la construction de notre droit du travail et permettre aux accords de branche et aux accords d’entreprise de déroger à la loi par accord majoritaire sur tous les sujets souhaités. »
Le code du travail acterait donc quelques « grands principes »: « l’égalité homme-femme, le temps de travail [déjà bousculé par la récente loi Travail, NDLR], le salaire minimum, etc. », écrit l’auteur de Révolution. Le reste sera renvoyé « à la négociation de branche et, en second ressort, à la négociation d’entreprise. » Emmanuel Macron y voit une façon de « simplifier les choses de manière claire et au plus proche du terrain. » La hiérarchie entre le cadre légal et les accords de branche ou d’entreprise ont été largement débattus, suscitant de vives oppositions lors des discussions autour de la loi Travail.
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Une logique qui s’appliquerait aussi, à ses yeux, au compte pénibilité. « La pénibilité, est une bonne chose sur le fond, mais elle ne peut être appliquée partout de la même manière. Pour un grand groupe automobile, elle ne pose pas de problème et représente un vrai progrès pour les salariés. Pour une très petite entreprise du bâtiment ou de la boulangerie, elle est quasiment impossible à mettre en oeuvre », écrit le candidat, qui ne dit pas comment il compte s’y prendre, ni s’il envisage de supprimer ce compte pour certaines entreprises.
Emmanuel Macron défend cette nouvelle vision du dialogue social à une échelle plus « pragmatique », et non plus au niveau national. Pour renforcer la « légitimité » des acteurs syndicaux, rien de bien nouveau, le candidat propose un système de chèque syndical. « Nous instaurerons un mécanisme clair de financement, par lequel les salariés orienteraient des ressources abondées par l’entreprise vers le syndicat de leur choix. »