Le quotidien Libération a publié, ce mercredi, un document des services du ministère du Travail détaillant des pistes de réforme. Muriel Pénicaud refuse de le commenter.
Au lendemain de la présentation d’une feuille de route entre le gouvernement et les partenaires sociaux, qui a laissé les observateurs dubitatifs quant aux intentions précises de l’exécutif, la publication par Libération, mercredi 7 juin, d’un document exclusif ne devrait pas calmer les esprits.
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Alors que le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud ont présenté hier un calendrier et des grands thèmes de discussion sans jamais donner le moindre détail, le quotidien a obtenu un document des services de la Direction générale du travail (DGT) qui s’avère bien plus explicite. On y découvre les axes de « réforme demandées par le cabinet ».
« Il n’y a pas de plan caché »
Datés du 31 mai, donc quinze jours après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, ces trois textes contiennent des pistes de travail qui vont plus loin que prévu.
Interrogée sur France Inter, mercredi matin, la ministre du Travail a minimisé la portée des révélations du quotidien. « Ce n’est pas un document officiel, d’ailleurs il n’a pas été transmis au cabinet, et il ne m’intéresse pas. La seule chose qui vaille, c’est le programme de travail avec les partenaires sociaux », a réagi Muriel Pénicaud. « Il n’y a pas de plan caché », a-t-elle ajouté pour tenter d’éteindre les craintes avant l’organisation des 48 réunions qu’elle doit avoir avec le patronat et les syndicats pour préparer la réforme.
Ce que contient le document de la DGT
Malgré les ces dénégations, le document révélé par le quotidien montre des orientations majeures sur lesquelles les services du ministère du Travail seraient en train de plancher. Tour d’horizon en sept points clés.
1. Négociation des motifs de licenciement à l’échelle de l’entreprise
Le changement serait colossal. Ce serait à l’échelle de l’entreprise que des négociations sur les motifs de licenciement, le niveau des indemnités légales ou encore les critères de recours aux CDD pourraient avoir lieu. Le document précise qu’il faudrait « élargir les possibilités de négociations en ce qui concerne la période d’essai le préavis, les congés familiaux l’indemnité et le motif de licenciement » pour les CDI et le « le nombre de renouvellement ou la durée maximale » pour les CDD.
Les entreprises auraient une marge de manoeuvre très grande pour adapter et fixer leurs conditions en fonction, par exemple, de leur situation économique. Un salarié pourrait ainsi voir des objectifs précis être accolés à son contrat de travail (chiffre d’affaires à atteindre…) et être « automatiquement licencié » en cas de non respect de ceux-ci.
2. L’accord d’entreprise plus fort que le contrat de travail
Pour le moment, toute modification du contrat de travail découlant d’un accord d’entreprise doit être acceptée par le salarié, qui doit signer un avenant à son contrat. Le texte entend y mettre fin en prévoyant « un principe général de primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail« , précise le document obtenu par Libération.
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3. L’accord de branche ne concernerait plus que quelques domaines
Les accords de branche ne primeraient plus que dans un nombre restreint de domaines sur lesquels il y aurait un verrou: la mutualisation des fonds professionnels, les minima salariaux, les classifications, la prévoyance, l’égalité professionnelle et « éventuellement la pénibilité », assure le document de la DGT.
Mais il y a une ambiguïté car le texte précise aussi qu’il y aurait des dérogations possibles. Ainsi, même les secteurs « exhaustivement énumérés où une branche aurait la possibilité de verrouiller, mais à la majorité qualifiée,un accord d’entreprise pourrait malgré tout déroger« , ajoute la DGT sans donner plus d’exemples.
4. L’employeur pourrait décider seul de faire un référendum modifiant les conditions de travail
La loi Travail a instauré la possibilité – en vigueur depuis le 1er janvier – de soumettre au vote des employés les accords qui n’ont réussi à convaincre qu’une minorité de syndicats (30%). Les syndicats eux-même sont dans ce cadre à la manoeuvre.
Dans son programme, Emmanuel Macron envisageait d’aller plus loin en permettant à l’employeur de solliciter un référendum. A condition, là aussi, que l’accord ait été validé par les syndicats représentant 30% des voix.
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Le document de travail suggère carrément que ce vote pourra être organisé même si « un accord a été soumis à la négociation, mais n’a pas été conclu« . Plus besoin donc du soutien des syndicats.
5. Redéfinition du périmètre du licenciement économique
La DGT travaillerait aussi à la redéfinition du périmètre géographique permettant d’apprécier les licenciements économiques. Ainsi, une entreprise internationale dont la seule filiale française est en difficulté pourrait procéder à des licenciements même si elle se porte très bien partout ailleurs.
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La mesure figurait dans une version de la loi El Khomri mais elle avait finalement été retirée du texte.
6. Raccourcissement du délai de contestation du licenciement économique
Les prud’hommes sont clairement dans le collimateur d’Emmanuel Macron qui veut instaurer un plafond des indemnités en cas de licenciement abusif.
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Le texte va plus loin. Il propose aussi de réduire le laps de temps accorder au salarié pour contester son licenciement économique en justice, par exemple s’il met en cause la véracité des motifs avancés par l’employeur. Il passerait à deux mois seulement, contre un an actuellement.
7. Seuil de déclenchement du PSE revu à la hausse
Pour le moment, quand une entreprise de plus de 50 salariés licencie au moins 10 salariés sur une période de 30 jours, elle doit mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Le cabinet de Muriel Pénicaud envisagerait donc « d’augmenter le seuil », selon le document publié dans Libération.
Il serait donc possible pour les entreprises de s’affranchir des obligations liées au PSE comme l’octroi de primes de départ volontaire ou la mise en place de procédure de reclassement. La procédure serait d’ailleurs modifiée. Exit les offres personnalisées à chaque salarié, l’employeur pourrait se contenter de « proposer une seule fois à tous les salariés toutes les offres disponibles ».
« On va vite rentrer dans une impasse »
Du côté syndical justement, l’exaspération commence à monter alors qu’ils n’avaient pas réagi au document explosif publié par Le Parisien lundi. Le patron de FO a déclaré sur Europe 1 ce mardi matin que « si la négociation va sur des orientations de ce type,la négociation sera très compliquée, on va vite rentrer dans une impasse. A la limite, si c’est ça le programme, qu’ils discutent avec le patronat. On n’a plus rien à faire et on fera autre chose. »
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De son côté, Laurent Berger a mis en garde. « Je note le démenti qui est fait par le gouvernement. Mais je le dis tout de suite: s’il veut travailler sur un certain nombre de pistes qui sont amenées dans certains journaux ces jours-ci, il faut qu’il arrête tout de suite, ça ne sert à rien de mener la réflexion car pour la CFDT, c’est non ».