Dix ans après l’ouverture totale des marchés du gaz et de l’électricité en France, les opérateurs alternatifs espèrent une extinction des tarifs réglementés et un environnement plus favorable à la concurrence, sous la présidence d’Emmanuel Macron, pour doper leur conquête de clients. Après s’être imposés progressivement auprès des grands consommateurs, le défi des acteurs tels que le français Direct Energie et l’italien Eni consiste désormais à venir concurrencer Engie et EDF sur le terrain des clients dits résidentiels, qui regroupent les particuliers et les petits professionnels. Le Conseil d’Etat pourrait donner un coup d’accélérateur à leurs ambitions en se prononçant sur une demande de suppression des tarifs du gaz – sur la base d’un avis de la Cour de justice de l’Union européenne -, une décision que le secteur attend depuis l’automne 2016 mais pour laquelle la juridiction administrative n’a fourni aucun calendrier. A l’origine, elle avait été saisie par l’Association des opérateurs alternatifs (Anode) – dont Direct Energie et Eni sont membres -, qui conteste l’existence même des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité en soulignant que les gouvernements les ont régulièrement politisés ces dernières années en limitant leurs hausses, faussant ainsi la concurrence et protégeant les parts de marché des acteurs historiques. « La fin des tarifs réglementés créerait un appel d’air vers la concurrence, comme ça s’est fait pour les industriels, les entreprises et les collectivités », a dit à Reuters Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Energie, qui défend l’idée d’une ouverture du marché « dans l’intérêt des consommateurs, aussi bien en termes de prix que d’innovations ». Le dirigeant, également président de l’Anode, veut croire qu’Emmanuel Macron « sera capable de comprendre que, si la concurrence égratigne les opérateurs historiques en termes de parts de marché (…), elle est aussi un élément qui permet l’émulation et donc des gains de productivité et de compétitivité ». « Dans ses propos, son programme et son action passée, (le nouveau chef de l’Etat) a toujours été favorable à la concurrence », estime Fabien Choné. Eni, en se lançant dans la vente d’électricité pour les particuliers en France, a pour sa part indiqué fin mars qu’il tablait sur « une dépolitisation du marché » dans un contexte où « le budget énergie pèse sur le consommateur ». L’enjeu est de taille car, sur le marché français des clients résidentiels, les tarifs réglementés représentaient encore 53% des consommations de gaz et 88% de celles d’électricité à fin 2016. En incluant les clients convertis à des offres de marché mais restés chez les deux opérateurs historiques, Engie et EDF détenaient encore 77% et 86% respectivement du marché des résidentiels dans le gaz et l’électricité en nombre de sites, soit respectivement 8,2 et 27,5 millions de clients. Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on a intégré le scénario d’une suppression pure et simple des tarifs du gaz qui serait imposée par la décision du Conseil d’Etat et pourrait entraîner « par contamination celle des tarifs de l’électricité à l’horizon de quelques années supplémentaires ». Les acteurs alternatifs ne sous-estiment pas la résistance des opérateurs historiques mais certains notent que, dans leurs échanges avec EDF et Engie, ce dernier semble davantage disposé à une suppression des tarifs. L’ex-GDF Suez défend toutefois fermement leur bien-fondé en faisant valoir qu’ils lui permettent de remplir ses missions de service public, au premier rang desquelles la sécurité d’approvisionnement, à travers la prise en compte de ses coûts. « Je ne me place pas du tout dans l’hypothèse d’un arrêt brutal des tarifs réglementés. Cette position serait contraire à la tradition du Conseil d’Etat, qui est de trouver des points d’équilibre conformes au droit et à l’intérêt général », a dit à Reuters Pierre Mongin, directeur général adjoint d’Engie. Estimant qu’une refonte des tarifs réglementés imposerait de passer par le Parlement et donc de s’inscrire « dans le temps politique », Pierre Mongin ajoute cependant qu’une suppression des tarifs du gaz « devrait également s’appliquer à ceux de l’électricité car il ne peut y avoir de distorsion entre les énergies ». Plusieurs sources industrielles soulignent que le sujet suscite des crispations chez EDF dans un contexte où le groupe continue de subir le contrecoup de la suppression des tarifs pour les entreprises et les collectivités, survenue début 2016, qui a fortement accru son exposition à des prix de marché européens déprimés. L’une de ces sources estime que « le vrai sujet est celui de la couverture des coûts de production », en particulier dans le nucléaire. « Si les énergéticiens se lançaient dans une guerre des prix, ça finirait par poser un problème en matière d’investissements. Attention, derrière, il y a des infrastructures à entretenir ! » EDF ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet mais son PDG, Jean-Bernard Lévy, déclarait aux Echos début mars que, « même si une décision de (suppression des tarifs) était prise, elle prendrait plusieurs années à être mise en oeuvre », ajoutant : « Notre scénario central aujourd’hui, c’est que rien ne change. » Dans son dernier « paquet hiver », la Commission européenne a quant à elle prôné une « élimination progressive » des tarifs de l’électricité.