La question vous paraît excessive? Les Américains en débattent depuis l’élection de Donald Trump, l’équipe d' »Ali » Juppé depuis sa défaite aux primaires de la droite. Internet fait souffler un vent de populisme sur le monde. À qui le tour, se demande notre contributeur, Arnaud Dassier?
Depuis les débuts d’Internet, on débat de son impact sur la vie politique, la démocratie et les campagnes électorales. Après les illusions perdues de la démocratie directe et après la rénovation du militantisme – dont l’exemple le plus abouti a été donné par la campagne de Barack Obama – voici venu le temps de l’information « alternative » et de la propagande diffusés par les réseaux sociaux.
Back in the USSR
Les Russes sont incontestablement ceux qui exploitent le plus l’influence des médias Web. Depuis l’URSS, ils connaissent la puissance de la propagande. L’art de la guerre de l’information est toujours enseigné dans les écoles diplomatiques et militaires russes.
Ancien du KGB, Vladimir Poutine est le premier soutien de la stratégie d’influence déployée par la Russie sur les médias internationaux. L’investissement de la Russie est à la hauteur de ses ambitions géopolitiques: des centaines de millions dépensés chaque année et des milliers d’employés qui se consacrent à inonder quotidiennement le monde de contenus produits par des médias comme Russia Today ou Sputnik. Des centaines de jeunes « trolls du Kremlin » inondent les réseaux sociaux, 7/7, 24/24, de milliers d’articles, photos trafiquées, posts, commentaires, et intimident les adversaires – « How much the CIA paid you? »
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Les Russes sont passés maître dans l’art de la guerre hybride mêlant rapport de force armé, opérations spéciales sur le terrain et guerre de l’information. Avec un succès certain, malgré des contenus de qualité souvent grossière. Ils ont ainsi réussi à faire avaler l’invasion de la Crimée et de l’Ukraine, et même la destruction d’un avion de ligne et ses 298 victimes. On a commencé des guerres pour moins que ça.
Cette stratégie hybride est si puissante que le monde débat aujourd’hui pour savoir si la Russie domine la géopolitique mondiale, alors que ce pays est 10 fois moins riche et puissant militairement que les Etats-Unis.
Fake news
La propagande procède d’abord d’une manipulation de l’information: la présentation des faits est biaisée, des histoires sont inventées, des visuels « photoshopés », etc. dans le but d’hystériser l’opinion par des images et des mots à fort impact émotionnel. L’objectif est de créer la confusion dans les esprits en présentant une réalité virtuelle qui entre en concurrence avec la réalité. Même les médias traditionnels, soucieux de balancer le traitement de l’information et de donner la parole à toutes les parties, se font prendre au piège.
La propagande permet aussi de polariser les débats, de maîtriser son opinion publique à domicile, d’alimenter ses partisans idéologiques avec des contenus à partager sur les réseaux sociaux et de créer l’apparence d’un enthousiasme populaire.
Ubérisation de la politique
Le levier d’influence du Web est utilisé depuis longtemps par les courants politiques minoritaires, radicaux ou marginaux, qui n’ont pas accès aux médias traditionnels. Ils compensent leur manque de moyens par l’attractivité et la viralité de leur discours décomplexé et sans filtre, qui provoque la curiosité des internautes et un engagement constant et durable de leurs sympathisants au service de la cause, et permet d’accumuler les soutiens en permanence (là où les militants des partis politiques traditionnels ne s’engagent et se recrutent que le temps d’une campagne).
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Ce constat est presque aussi vieux qu’Internet. Ce qui est plus nouveau, c’est que cette influence a été décuplée par l’émergence des médias partisans (comme Breitbart.com aux Etats-Unis, fdesouche.com ou Boulevard Voltaire en France) et leur articulation avec la capacité de diffusion virale et d’audience universelle de réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter qui sont devenus dominants dans la consommation de l’information.
Jour après jour, les idées portées par ces contenus percolent dans l’opinion. C’est ainsi que Daech est parvenu, avec des moyens réduits et artisanaux, à séduire des millions de musulmans partout dans le monde et à exporter le Djihad au sein des populations des pays occidentaux.
Le succès des canaux alternatifs d’information sur le Web fait souffler un vent de populisme
Avec les victoires surprises du Brexit et de Donald Trump, l’influence de ces médias Web militants et alternatifs explose à la figure des médias traditionnels et de la classe politique qui, jusque-là, maîtrisaient de concert le débat politique et le jeu électoral. A leur tour, la politique est en cours d’ubérisation, mais pas comme on l’avait imaginé (la démocratie liquide est encore une utopie), et pas au service des idées libertaires portées par les élites numériques.
Aux Etats-Unis, un grand débat a lieu actuellement pour déterminer si les « fake news » et les médias partisans, relayés sur les réseaux sociaux par les militants de l' »Alt Right » et les trolls du Kremlin, ont permis l’élection surprise de Donald Trump. A l’occasion de la campagne électorale allemande, le même phénomène est actuellement à l’oeuvre contre Angela Merkel. La France n’est pas épargnée, loin s’en faut.
La campagne présidentielle française sous l’influence des trolls du web?
L’un des meilleurs exemples de média partisan est le blog fdesouche, devenu l’un des acteurs les plus influents de la politique française en distillant depuis plus de 10 ans, avec un succès d’audience croissant (3 millions de visites par mois), une sélection anxiogène de l’actualité, qui vient appuyer des thèses identitaires énoncées dans les commentaires des articles.
La diffusion de ces informations sur les réseaux sociaux a progressivement permis l’apparition, puis la domination, des idées identitaires dans le débat public, contribuant à la popularité croissante de Marine Le Pen et du FN.
En les rendant incontournables sur le Web et dans l’opinion, la « fachosphère » a réussi à imposer ces thèmes aux médias et aux responsables politiques. De la même manière, avec l’aide de relais médias Web comme Riposte Laïque ou Boulevard Voltaire, la droite dite « hors les murs » a mené la bataille contre « Ali » Juppé lors des primaires de la droite, avec le succès que l’on sait.
De son côté, la « gauchosphère » a favorisé l’émergence de Benoît Hamon lors des primaires du PS et de Jean-Luc Mélenchon, qui a fait une percée remarquée sur Youtube. Ce succès a été préparé indirectement par des youtubeurs politiques puissants – comme Osons Causer – qui ont créé un climat idéologique favorable auprès d’une jeunesse accro aux vidéos sur internet.
La conjonction de ces réseaux influents sur le Web réussira-t-elle à faire trébucher les favoris du « cercle de la raison »?
Face à ces machines de guérilla idéologique numérique, les candidats des partis traditionnels font pâle figure. Ainsi François Fillon est relativement faible sur les réseaux sociaux pour un ancien Premier ministre qui a gagné une Primaire avec 4,3 millions de participants – il n’a que 330 000 abonnés sur Facebook, contre 830 000 pour Jean Luc Mélenchon et 1,3 million pour Marine Le Pen. Cela témoigne-t-il d’une tendance de fond qui se traduira par des surprises lors du premier tour de l’élection présidentielle?
Quoique beaucoup moins nombreux et moins bien financés, les médias Web partisans, relayés par les réseaux sociaux, parviennent à concurrencer les médias traditionnels et à influencer efficacement le climat idéologique et le débat politique.
Ils sont devenus la voix du peuple face aux élites. Ils révèlent des vérités cachées et des complots imaginaires et brisent les limites imposées au débat politique par le politiquement correct. Le résultat de cette nouvelle donne médiatique, c’est un ouragan populiste et géopolitique. Après le Poutinisme, le djihadisme importé à domicile, le Brexit, Donald Trump et Ali Juppé… à qui le tour?
Arnaud Dassier est entrepreneur Internet, business angel, président d’@eclypsiaCOM, co-fondateur d’@allomedia. Il a participé à une vingtaine de campagnes électorales sur Internet depuis 1997 (dont celles de Jacques Chirac en 2002 et de Nicolas Sarkozy en 2007). Il est un spécialiste de l’influence et de la réputation en ligne.
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