Fermer l’ENA, l’idée anti-système de purs produits du système

By | septembre 1, 2016

Le candidat à la primaire à droite Bruno Le Maire s’est prononcé en faveur de la fermeture de l’Ecole nationale d’administration. Il est loin d’être le premier.

Il en est le pur produit et promet pourtant de supprimer l’ENA, l’Ecole nationale d’administration, la machine à fabriquer des présidents, des ministres et quelques-uns des plus importants fonctionnaires d’Etat du pays. La proposition formulée par Bruno Le Maire dans Le Parisien n’a rien d’originale. Voilà des années que divers responsables politiques, toutes majorités confondues, tapent régulièrement sur le symbole de l’administration à la française. A tort ou à raison?

Une école dépassée?

Bruno Le Maire fait de l’ENA une école dépassée, incapable de s’adapter au « monde nouveau » dans lequel nous entrons. « Il est temps de supprimer l’ENA », tonne le candidat à la primaire. A la place, il envisage de la remplacer « par une école d’application sur le modèle de l’École de guerre, à laquelle les hauts fonctionnaires les plus méritants pourront avoir accès au bout de dix ans ».

Il entend ainsi replacer la haute administration à « sa juste place » et promet de faire prévaloir l’entrepreneuriat, la créativité et l’innovation. Contactée par la rédaction, la direction de l’école n’a pas souhaité commenter cette prise de position, arguant son « devoir de réserve ».

Le renouveau pas si nouveau de Bruno

Bruno Le Maire n’est pas le premier à se lancer dans cette bataille. De nombreux responsables politiques, y compris d’anciens énarques, se sont par le passé prononcé en faveur de la disparition de cette école. Dès 1967, Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane et Alain Gomez inventaient le concept « d’énarchie ». Une façon de pointer du doigt le problème de la reproduction sociale. « Quels que soient les modes de calcul, le recrutement ne s’est pas démocratisé durant les soixante-dix ans et l’ENA n’a pas réalisé le brassage social espéré par Michel Debré en 1945 », commente Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS auprès du Figaro.

Dans un rapport commandé en 2003 par Jean-Pierre Raffarin, l’ancien commissaire européen Yves-Thibault de Silguy, sans appeler à sa fermeture, écrivait qu’au sein de l’ENA, « le conformisme tend à s’imposer, le développement des aptitudes n’est pas encouragé, la connaissance des administrés et des entreprises n’est guère stimulée et l’ouverture au monde reste frileuse ».

En 2007, François Bayrou promettait déjà la fermeture de l’établissement. Il s’était alors attiré les foudres de nombreux politiques, qui n’y voyaient que de l’opportunisme. Jean-Marie Le Pen l’avait même accusé de lui voler son idée. Quelques années plus tôt, Michel Rocard, Alain Juppé ou encore Laurent Fabius, tous énarques, vantaient aussi la nécessité de fermer l’école.

« Quand on a honte de son patronyme, on s’en choisit un autre »

Le gouvernement n’a aucune intention de suivre les propositions de Bruno Le Maire. Dans une réponse transmise notamment à L’Express, la ministre de la Fonction publique Annick Girardin ne mâche pas ses mots à l’égard du candidat. « La critique de l’ENA est facile, relève-t-elle, c’est un repoussoir classique pour tous les populistes ». Elle n’y voit qu’une stratégie pour son auteur « d’exister » dans la primaire, en allant contre sa nature. « Quand on a honte de son patronyme, on s’en choisit un autre », lance la ministre.

Annick Girardin veut mettre en avant les réformes entreprises pour diversifier les profils des hauts fonctionnaires. « C’est ce que nous faisons en multipliant les prépas intégrées, en renforçant l’information des élèves sur les métiers de la fonction publique, en développant l’apprentissage, en mettant en place le plan Rousselle dès cette rentrée pour encourager la diversité dans les 75 écoles de service public ».

La ministre se déplaçait ce jeudi dans le bâtiment strasbourgeois pour inaugurer les nouveaux locaux de l’Institut national des études territoriales. L’occasion pour elle d’insister sur le devoir de responsabilité qui incombe à chacun des élèves, mais aussi sur la nécessité de maintenir l’excellence de la haute fonction publique française. « La qualité de vos formations n’est plus à prouver, a-t-elle glissé aux élèves. Mais elles doivent sans cesse être améliorées pour prendre en compte l’évolution des techniques, des organisations et des attentes des citoyens. »

Une porte nouvelle vers de nouvelles réformes? Dans son ouvrage intitulé L’ENA ou 70 ans de paradoxe, Luc Rouban relevait que la proportion d’élèves ayant un père exerçant une profession supérieure est passée de 45% dans les années 50 à 70% en 2014. De quoi alimenter encore à l’avenir les appels très politiques à la fermeture.