Les récents couacs de l’exécutif sur les modifications à apporter à la loi El Khomri soulignent la difficulté pour le gouvernement à trouver une voie de sortie de crise. C’est normal: il n’y en pas. Enfin, aucune qui ne soit pas douloureuse.
La petite musique gouvernementale sur le thème de la fermeté face à la CGT, jouée depuis plusieurs jours par Manuel Valls, commence à être parcellée de fausses notes. Mercredi déjà, avec Bruno Le Roux qui s’était dit ouvert à une rediscussion de l’article 2 sur la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Jeudi, encore plus symbolique, c’est le ministre des Finances Michel Sapin qui a dit: « Peut-être qu’il faut toucher à l’article 2 » sur certains « points ». Avant d’être recadré sèchement par le Premier ministre et se recadrer ensuite lui-même. Bref, ça sent la panique à bord du paquebot exécutif. Une fébrilité qui s’explique très facilement: le gouvernement n’a le choix, pour sortir de la crise, qu’entre des mauvaises solutions. Reste à savoir quelle est la moins mauvaise pour lui.
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Retirer la loi Travail
Cette option mettrait fin immédiatement au blocage, sonnerait la fin du mouvement social… Mais aussi du gouvernement. Impossible pour Manuel Valls de rester en place dans un tel cas de figure et après avoir eu des propos aussi tranchés sur sa volonté d’aller jusqu’au bout. Des mois de remous politiques, des phrases martiales pour finalement retirer le texte? Ça ne serait pourtant pas une première. C’est le destin tragico-comique qu’a déjà vécu le projet de réforme constitutionnelle sur la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. « J’entends bien que c’est une solution inenvisageable car elle donnerait un signal de faiblesse, observe Laurent Baumel, l’un des principaux députés frondeurs du PS. Mais, voilà ce qui arrive à vouloir se poser comme un réformateur courageux et à vouloir parler à des gens qui de toute façon ne voteront pas pour vous… »
Remanier le texte
C’est l’option à laquelle poussent certains députés socialistes et qui a été perceptible à travers les « couacs » de Bruno Le Roux et de Michel Sapin, deux hollandais historiques. Cette piste offre l’avantage de ne pas céder complètement à la rue, tout en tentant d’apaiser. Mais elle pose plusieurs problèmes.
Tout d’abord, il faudrait se mettre d’accord sur les points à discuter. Manuel Valls l’a redit ce jeudi: s’il est « toujours ouvert quand il faut améliorer tel ou tel aspect », « pas question de toucher » aux « grandes lignes du texte, l’article 2, c’est-à-dire la négociation dans l’entreprise, la garantie jeunes, les nouveaux droits pour les salariés, la lutte contre le détachement illégal, ce que nous faisons pour les jeunes ». Bref, rien de substantiel. Mercredi, Bruno Le Roux s’est dit favorable à ce « que la branche donne un avis a priori »et non a posteriori, sur l’accord d’entreprise. Ce que les députés appellent le « compromis Sirugue », du nom du rapporteur du texte à l’Assemblée. « Quand bien même nous l’accepterions, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui, cela ne signifie pas que la CGT et FO l’accepteraient », met en garde Laurent Baumel.
Et même si le gouvernement acceptait de revenir complètement sur l’article 2 de la loi, une option qui pourrait convaincre FO de se ranger, la CGT ne reculerait probablement pas. Philippe Martinez réclame l’abrogation pure et simple de la loi. Bref, l’exécutif céderait un peu sans lever pour autant les blocages. Que des coups à prendre. D’autant que si le gouvernement remanie le texte, la droite le pilonnera. Et rappellera qu’elle s’y oppose parce qu’elle trouve que la loi, intéressante à ses yeux originellement, a déjà été vidée de sa substance. En effet, certains points importants comme le plafonnement des indemnités prud’homales, les forfaits-jour pour les PME, la réduction du périmètre géographique pour les licenciements économiques ont déjà été abandonnés dans le texte sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité au palais Bourbon.
Passer en force
Après les déclarations fermes du Premier ministre, ne rien discuter permet à l’exécutif d’afficher une position de fermeté bienvenue après les procès en atermoiement contre François Hollande entretenus tout au long du quinquennat. « Ne nous trompons pas. La CGT brandit la loi Travail comme un épouvantail avec un seul objectif: pousser Valls à la démission et faire perdre Hollande en 2017 », met en garde un proche du Premier ministre. Et de poursuivre: « Si on baisse les bras, on prend le toboggan. Et le président de la République trinquera plus que le Premier ministre. »
Mais tenir sa position suppose que le mouvement social perdure. Le gouvernement fait le pari que l’opinion lui apportera son soutien face aux « bloqueurs » de la CGT. Pari pour l’instant perdu. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, près de sept Français sur dix se disent favorables au retrait de la loi El Khomri. Un pourrissement de la situation – une grève reconductible dans les transports va bientôt suivre – que les Français pourraient mettre davantage sur le compte de l’inflexibilité gouvernementale que syndicale. Une position qui sera de plus en plus dure à tenir si les incidents se multiplient. Ce jeudi, une voiture a forcé un barrage à Fos-sur-Mer, faisant un blessé grave.
Refiler la patate chaude aux députés
Le gouvernement pourrait s’en remettre au débat parlementaire, méthode moins violente que le passage en force du 49.3. Mais aucune raison dans ce cas que la plupart des députés soient d’accord pour adopter le texte qui n’a pas trouvé de majorité en première lecture. François Hollande pourra toujours pointer du doigt la responsabilité des parlementaires, comme il l’avait fait pour justifier son renoncer à la réforme constitutionnelle. Mais là encore, l’image serait catastrophique d’un exécutif qui n’a pas su imposer son projet à sa propre majorité.