Le Premier ministre Manuel Valls s’est opposé, dimanche, à ce que Tariq Ramadan acquière la nationalité française. A-t-il vraiment les moyens de l’en empêcher?
Manuel Valls part en croisade contre Tariq Ramadan. Dimanche, dans une interview accordée à Radio J, une radio juive parisienne, le Premier ministre ferraille contre l’islamologue suisse, en soutenant qu’il n’y « aucune raison pour qu[‘il] obtienne la nationalité française », comme il l’avait réclamé.
Un message « contradictoire » avec les valeurs françaises
« Quand on aspire à être français, c’est qu’on aspire à partager des valeurs », s’agace le locataire de Matignon. Or, à ses yeux, le message du théologien est « contradictoire » avec les valeurs de la France. Tariq Ramadan est suspecté par des observateurs de communautarisme et d’islamisme radical. Le 4 février, il avait annoncé sur Facebook son souhait d’acquérir la nationalité française.
C’était au moment où l’Assemblée nationale détricotait la déchéance de nationalité. « Je pense qu’il est bon de donner un exemple concret et positif d’adhésion aux valeurs de la République », justifiait alors l’intellectuel controversé. Tout un symbole. « Nous sommes dans une dérive absolue, et le Parti socialiste est emberlificoté dans un débat qui ne sent pas bon du tout », disait-il à l’époque à L’Obs.
En théorie éligible
En France, la nationalité n’est accordée qu’à certaines conditions. Marié à une citoyenne française, tout en exerçant une activité régulière dans l’Hexagone, le professeur à l’université d’Oxford y est en théorie éligible, au titre de la naturalisation par mariage avec un conjoint français. Reste que ce n’est pas automatique.
Admettons qu’il franchisse toutes les étapes. Manuel Valls, tel qu’il y fait allusion, est-il en position d’ajourner la requête du théologien? Ce ne serait pas la première fois qu’il interviendrait en personne dans un tel processus. En janvier 2015, il s’était déjà mouillé pour attribuer la nationalité française à Lassana Bathily, le sans-papier malien qui avait fait acte de bravoure lors de l’attaque de l’hypermarché casher de la porte de Vincennes, après l’attentat à Charlie Hebdo. Il s’agissait cette fois d’accélérer sa naturalisation, ce que la loi permet aux autorités… à titre dérogatoire.
Le dernier mot au ministère de l’intérieur
Pour ce qui est de débouter une demande basée sur un mariage, la loi est moins bavarde. Toutes ces requêtes entrent dans le giron du ministère chargé de ces questions, celui de l’Intérieur. Une fois que l’intéressé a déposé en préfecture un dossier dûment rempli, même en cas d’accord du préfet, c’est, en principe, le ministère qui a le dernier mot.
Mais il y a un hic. « Dans le cas d’une naturalisation au sens strict, le gouvernement a un pouvoir d’appréciation en opportunité, sauf que celui-ci n’existe pas quand c’est une demande fondée sur un mariage », explique à L’Express la professeure à l’université de Bourgogne, spécialisée en droit des étrangers, Sabine Corneloup. « Dans tous les cas où c’est une demande par déclaration, comme pour monsieur Ramadan, les pouvoirs de l’administration sont réduits. »
La voie du « défaut d’assimilation »
Il existe toutefois, dans le code civil, une procédure d’opposition à laquelle peut se heurter l’islamologue. « Le gouvernement dispose d’un délai de deux ans pour s’opposer. Il peut faire valoir deux motifs: soit l’indignité, soit le défaut d’assimilation. Je suppose que c’est ce dernier que Manuel Valls a en tête », poursuit Sabine Corneloup. Des possibilités de rejet qui sont « relativement rares », note pourtant l’universitaire.
Cette procédure d’exception n’a qu’une seule voie praticable, celle d’un décret pris au Conseil d’Etat, à l’initiative du gouvernement, et signé par le Premier ministre, Manuel Valls. Attention, le rejet ne peut être arbitraire. Il faut préciser en quoi il y aurait défaut d’intégration.
En cas de « pratique radicale d’une religion »
Dans quels cas de figure l’administration peut-elle retoquer une demande? Un regard sur la jurisprudence du Conseil d’Etat permet d’y voir plus clair. « Cette procédure opposition a été admise dans certains cas de pratique radicale d’une religion, ou s’il y a des liens étroits avec des organisations islamistes prônant le rejet de la société française, quand l’intéressé a tenu des propos hostiles aux valeurs du pays », note Sabine Corneloup. Comme le veut la règle, Tariq Ramadan pourra s’y opposer devant un tribunal.
En attendant la suite du feuilleton, l’universitaire a renvoyé le Premier ministre face aux contradictions de la France, qui a remis la légion d’honneur au prince héritiersaoudien, représentant d’un pays épinglé pour ses nombreuses atteintes aux droits humains, mais bon client de l’industrie d’armement française: