Par Saint Proudhon! Qu’ont-ils tous à se rassembler, la nuit venue, comme pour narguer la Cour, à brandir leur jeunesse tel l’étendard du désespoir?
Le roi s’en inquiète et s’enquiert de leurs tourments. Craint-il de subir à son tour le sort de Charles le Grand, viré de son trône par une clique d’énergumènes menés par un étrange ludion venu d’Outre Rhin, un rouquemoute effronté qui mit une belle pagaille en le royaume, voici quelques dix lustres?
Le comte Cazeneuve à dépêché tous ses indics. En vain. Ils revinrent tous bredouilles, sitôt repérés par ces indignés.
Fidèle à sa surprenante praxis du pouvoir, toujours aussi gourd à la manoeuvre, le Flou se prit donc de convoquer un conseil restreint en son Château. La date fut fort opportunément choisie en ce premier d’avril, jour des farces tout ainsi que des poissons. S’agissait-il de pécher les idées comme les poisseuses carpes du bassin de Fontainebleau? L’affaire se devait d’être tenue aussi secrète que conclave de malfrats en quête de casse.
Entre rillettes et pastaga, siégeaient donc le baron Dray, flanqué du comte Le Foll, Monsieur de Zarader, imagier du roi, surnommé Zalando, avec sa trogne de chevillard; Monsieur de Gantzer, Gaspard-la-gaffe; l’archiduchesse Marie-Ségolène; Monsieur de Macron, ainsi que Monsieur de Jouyet.
L’absence du comte Valls provoqua une certain émoi: le Catalan serait-il blacklisté de la dream-team de campagne? Car il n’était question que de cette lancinante interrogation: s’il est désormais acquit que le roi, faisant fi de son extraordinaire impopularité, entend conserver son sceptre, comment dès lors renflouer ce cétacé échoué sur la grève de ses échecs?
Le roi ouvrit ce conclave en sommant ses féaux d’apporter la quintessence de leur savoir aux questions qu’il daignerait leur poser.
Le roi-. Les jeunes nous boudent, nous dédaignent. Nous moquent impunément. L’épisode funeste de « Périscope » où nous fûmes cruellement raillé par les gamins débraillés d’une start-up nous a blessé. A ce propos, Monsieur de Gantzer, nous vous gardons chien de notre chienne: sachez, Monsieur, que les offenses faites au roi ne sont point solubles dans l’absolution.
Monsieur de Gantzer, regardant humblement le bout ses couteuses chopines vénitiennes -.
J’implore votre clémence, Sire, je me prosterne à vos pieds, misérable vermisseau que je suis.
Le roi-. La prochaine fois, c’est pan-pan cul-cul tout nu!
Le Foll et le baron Dray, en choeur-. Bien fait pour ta petite gueule de boloss!
Le roi-. Ces jeunes indignés qui se rassemblent la nuit venue telles des chauve-souris nous intriguent: comploteraient-ils contre nous? Seraient-ils gagnés par quelque séditieuse entreprise? Mettraient-ils le royaume en péril?
Le baron Dray-. J’ai trouvé la solution! Il nous faut organiser les Etats généraux de la jeunesse!
Le roi-. A des fins sans doute que notre tête échouât dans un seau de sciure… Nous connaissons cet épisode et savons que l’Histoire se prend quelques fois de repasser les plats, même congelés.
Le baron Dray-. Je n’y avais point pensé…
L’archiduchesse Marie-Ségolène-. Vos accortes rondeurs cèlent une cervelle d’étourneau.
Le baron Dray-. Je m’inquiétait seulement du Désir d’avenir de notre jeunesse…
L’archiduchesse-. Lorsqu’il s’agit d’exhumer les cadavres, votre mémoire, baron, est infaillible. Nous vous sommes gré de nous rappeler nos échecs.
Le ton tournait vinaigre lorsque, soudain, les studieux travaux du sanhédrin royal furent interrompus par l’apparition inopinée du comte Ayrault de Nantes.
Ayrault-. Sire! Sire! Une catastrophe, un désastre!
Le roi, agacé-. Parlez, fidèle Ayrault!
Ayrault-. Sire! Les Bataves refusent de convier les Ukrainiens…
Le Foll-. On s’en tape le cul au lustre! Que le cul leur pèle!
Le baron Dray, mezza voce-. Ce pauvre Ayrault, il est aussi con que l’évêque de Pontoise…
Le roi-. Si fait, mon bon Ayrault, nous vous verrons après que nous aurons fini d’entendre ces beaux esprits…
Ayrault-. Sire, puis-je me joindre à vous?
Le Foll-. Tu connais la chanson de Maître Gims?
Ayrault-. Point. Je n’ai guère le temps à consacrer aux ritournelles.
Le Foll-. Retiens celle-là.
Ayrault-. Laquelle?
Le Foll-. « J’me tire »
Le roi-. Par Saint-Blum, vos chamailleries ne font guère avancer le schmilblic!
Monsieur de Gantzer-. Schmilblic? Quésaco?
Monsieur de Jouyet-. Un jeu que votre jeune âge vous dispense de connaître. Un jeu qui passionna la vulgate voici bien longtemps…
Monsieur de Macron-. Voici donc la preuve vivante de notre échec: les jeunes nous boudent car ils ne nous entendent plus…
Le Foll-. On va tout de même pas y passer la nuit…
Macron-. Et pour renfort de potage, il nous faudra rester debout…
Le roi-. Monsieur de Macron, auriez-vous la bonté de nous dispenser vos lumières sur la façon de faire revenir ces jeunes à la raison?
Monsieur de Macron-. J’ai pensé fonder ma propre ligue, non point, Sire, à des fins de briguer la Couronne que je souhaite de tout coeur sceller ad aeternam sur votre tête. Mais dans le dessein de redonner espoir à ces desperados, ces indignés, ces jeunes à qui l’on ne promet rien, sevrés des rêves qui sont l’apanage de leur âge.
Le Foll-. Bâtard! Comment c’est trop abusé, comment tu te tapes l’affiche! C’est chelou ton truc, trop mortel!
Le roi-. Le Foll, votre sémantique, à tout le moins vernaculaire, nous échappe quelque peu…
Monsieur de Jouyet-. Quel charabia!
Ayrault de Nantes, tentant une nouvelle incruste-. Nous mêmes sommes perplexes…
Le Foll-. Comment je vais lui niquer sa race à ce bouffon!
Le roi-. Par Saint Mollet, comment restaurer ce sortilège qui nous porta jadis sur le trône?
Monsieur de Zarader-. Avec une chanson, Sire.
Le roi-. De grâce, renseignez-nous!
Zarader-. Une chanson de Louane…
Le roi-. Madame d’Azoulay n’a point daigné nous en entretenir.. Et quelle est-elle?
Zarader-. « Notre amour boit la tasse ».