L’infection, transmissible sous une forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, a fait 224 victimes humaines et ébranlé l’agriculture. La France a adopté une position singulière face à cette crise internationale provoquée par les farines animales.
20 ans jour pour jour après la mise en place de l’embargo, la crise reste dans les mémoires. Une crise sanitaire, industrielle, économique et sociale, résumée en deux mots: la vache folle. Sous ce raccourci, la description d’un symptôme particulièrement visible, celui des tremblements provoqués par une maladie mortelle qui ronge le système nerveux central des bovins, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Sa transmission à l’homme, sous la forme d’une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (VMCJ), a tué 224 personnes dans le monde, dont 25 en France.
Cette longue crise prend toute son ampleur en 1996. Le 20 mars, le gouvernement britannique, qui compte des centaines de milliers de bêtes contaminées, alerte sur la possibilité et le risque de transmission de l’animal à l’humain. Dès le lendemain, la France est le premier pays européen à stopper totalement ses importations en provenance du Royaume-Uni.
Psychose et chute de la consommation
Signe du début d’une peur très médiatisée qui va durablement affecter les habitudes de consommation et notamment susciter l’essor de l’agriculture bio, le thème devient le principal sujet des journaux télévisés: le 21 mars 1996, il représente tout le premier tiers du 20 heures de France 2.
La psychose fait chuter, en quelques mois, l’achat de viande de boeuf à -25% en France (-45% pour les abats) ce qui sinistre la filière bovine, mise à mal par les abattages massifs systématiques massifs des cheptels, le tout accentué par cet emballement médiatique.
Entre Paris et Bruxelles, la « précaution »
Ce n’est qu’une semaine plus tard, le 27, que l’embargo sera décidé par la Commission européenne elle-même: elle interdit toutes les exportations de viandes bovines britanniques mais aussi de leurs produits dérivés. Ce n’est que trois ans plus tard, en août 1999, qu’elle le lève sous conditions, dans une décision respectée progressivement par tous les pays… Sauf la France.
En mars 2000, après l’Allemagne, la France reste effectivement le dernier pays à refuser la levée de l’embargo. Le pays s’appuie sur l’avis défavorable de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Le bras de fer durera jusqu’au 2 octobre 2002, après la saisie de la Cour de justice européenne, et surtout une pré-action contentieuse. Pendant tout ce temps, Paris s’est réfugié derrière un concept: le principe de précaution.
« L’absence de certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte »: le principe juridique contesté mais brandi par la France s’explique en partie par les origines des maladies (ESB comme sa variante humaine VMCJ) et leur fonctionnement.
Chez l’homme, après une contamination, la période d’incubation -avant que n’apparaissent les premiers symptômes essentiels au diagnostic- se compte en années, voire en dizaine d’années.
La responsabilité des farines animales
Par ailleurs, lorsque l’Europe décide l’embargo en 1996, cela fait déjà dix ans que la maladie bovine est connue, avant qu’elle ne devienne une épizootie avec un pic d’infection de plus de 190 000 animaux diagnostiqués au Royaume-Uni. Le coupable est identifié et même interdit dans ce pays depuis 1988: les farines animales, nourriture largement utilisée par souci d’économie, ont contaminé des milliers de bovins.
Popularisées par l’élevage hors-sol, ces farines sont en fait issues des sous-produits de la filière bovine elle-même, autrement dit ses déchets: des os et carcasses, des peaux et surtout des abats… Avant d’être réduits en poudre, ils sont cuits à très haute température. Sauf si une volonté d’abaisser les coûts abaisse la température à cette étape cruciale, comme cela s’est produit au Royaume-Uni au début des années 1980. Ce qui ne permettait plus de détruire le prion, protéine anormale provoquant la maladie, absorbée par les cheptels ensuite recyclés en farine, poursuivant ainsi le cycle de contamination.
Ces farines animales à base d’os font partie des produits dérivés interdits par l’embargo. Plus largement, la crise provoque une prise de conscience, chez les consommateurs français comme chez les politiques, de la nécessité d’une surveillance des produits destinés à la consommation humaine. C’est justement dans ce cadre que seront créés l’Institut de veille sanitaire (INVS) en 1998 puis l’Afssa, un an plus tard.
Mais entre-temps, la maladie s’est installée. En France, une première vache atteinte d’ESB est découverte le 2 mars 1991, dans les Côtes-d’Armor en Bretagne. Le premier mort en France, après une transmission à l’homme via la maladie VMCJ, est annoncé le 5 avril 1996 par la Direction générale de la santé. Moins de deux semaines plus tard, et à nouveau sous couvert du principe de précaution, décision est prise d’abattre tout un troupeau lorsqu’un cas de vache folle est décelé.
Traçabilité, législation: les leçons tirées
La liste des produits déclarés impropres à la consommation s’allonge: après le retrait des abats s’ajoutent le ris de veau, les boyaux d’intestin utilisés en charcuterie… Pour la filière bovine en colère, l’impact est tel qu’un ensemble de mesures de soutien est dévoilé, ainsi qu’un plan à hauteur de trois milliards de francs, dont la moitié d’aides européennes. Ce ne sera pas la seule conséquence de la crise: la traçabilité va être largement améliorée avec une législation encore plus contraignante en France qu’en Europe, mise à l’épreuve par une autre crise sanitaire près de 20 ans plus tard, celle du scandale de la viande de cheval.
En 2014, après 17 ans de procédure judiciaire et d’enquête, quatre responsables d’usine d’aliments pour bétail ont bénéficié d’un non-lieu général, après avoir importés des lots suspects: le lien formel n’a pas pu être établi en raison des manques, à l’époque, de traçabilité. Dans une décision similaire le 15 mars dernier, un non-lieu a également été rendu dans l’affaire Buffalo Grill, du nom de la chaîne de restaurants accusée par plusieurs employés d’avoir écoulé du boeuf britannique en France malgré l’embargo.
Les tests ESB sur les bovins, obligatoires depuis 2001, ont été levés en 2014. Quant à l’utilisation controversée des farines dans l’alimentation animale, elle continue d’être mise sur la table. Leur réintroduction partielle sous conditions a été plusieurs fois examinée à Bruxelles: en février 2013, la Commission européenne a donné son feu vert aux farines de porc et de volaille pour les pisciculteurs… en oubliant les enseignements du passé?